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Le Jeu des Perles de Verre (Hesse, Hermann)


Gilles : Amateur des livres d'Hermann Hesse et notamment "Le Loup des Steppes", je me suis lancé dans la lecture du "Jeu des Perles de Verre" roman fleuve et réputé de son œuvre. A la lecture de ces livres, je suis séduit à chaque fois par l'écriture simple, fluide qui porte avec légèreté un discours spirituel et des récits d'initiation à la vie. C'est le cas ici. Cela semble caricatural et peu verbeux, mais dans la continuité de la lecture, cela fonctionne. Je suis à la croisée des chemins entre les 2 critiques ci-dessous, l'une élogieuse à juste titre, l'autre plus critique avec des arguments que j'ai également constaté. L'ensemble reste intéressant à lire même si j'ai préféré finalement les formes plus courtes comme "Siddhârta".


Résumé / Commentaire :


En 2200, après toutes les guerres et tous les cataclysmes, la Castalie est un petit pays où règne une aristocratie de l'esprit mais qui est immobilisé dans sa perfection et hanté par la pratique d’un jeu intellectuel, celui des «perles de verre» qui permet des combinaisons symboliques de l'union harmonieuse des sciences, de la philosophie et des arts, aboutissement et fin de toutes les cultures. Mais Knecht, le «Magister ludi», découvre que la stabilité est dangereuse dans un monde en devenir, et il quitte la confrérie qu’il dirige, malgré le but qu’elle s’est fixée de servir l’esprit et de régénérer une culture décadente.


Ce roman d'anticipation crée l'image d'une cité idéale, d’une utopie, mais c’est pour la dépasser car l’être humain peut-il accepter l’Immuable? Pour Hesse, qui assista à la décadence et à l'effondrement du monde occidental et de ses valeurs, et qui prenait de plus en plus de distance avec le monde réel, ni la civilisation technique ni une culture purement intellectuelle ne peuvent apporter une réponse satisfaisante à la quête spirituelle de l'être humain dans sa réalité individuelle unique, à la recherche d'une unité cachée de l'univers et de l'esprit humain. Le moi conquis se sacrifie à un moi idéal, celui de l’artiste. Hesse réclamait une culture universelle où la puissance de l’esprit peut se livrer à une gymnastique intellectuelle vertigineuse, où s’effectue la synthèse de l’apollinien et du dionysiaque rêvée par Nietzsche.


Critique emballée :


À la fois récit d'anticipation, roman d'éducation, utopie pessimiste, ce roman est l'une des constructions littéraires les plus abouties et les plus savantes de tout le XXe siècle. le style est magnifique, parfois un peu trop lyrique, mais la fin à elle seule justifie la lecture entière du roman. L'intrigue, qui semble relativement classique, se complexifie à partir de la moitié du livre, et de toute façon la construction de l'œuvre est tellement spectaculaire qu'elle mérite le détour. Ce roman rappellera à certains Siddhârta, du même auteur, mais cette fois Hermann Hesse lie formation culturelle et spirituelle dans cette utopie du Jeu des perles de verre.


Critique moins emballée :


Présenté par certains comme le maître-ouvrage d'Hermann Hesse, vanté plus que de raison par Thomas Mann, le Jeu des Perles de Verre déçoit le lecteur pourtant averti que je suis et plutôt enclin à aimer cet auteur allemand qui a choisi comme Romain Rolland de se situer au-dessus de la mêlée dès l'instant où son pays, l'Allemagne a choisi de faire la guerre à la France et à la Grande-Bretagne en 1914. de son refuge en Suisse, de sa thébaïde, il aurait pu donner au monde une œuvre plus inspirée que ce pavé indigeste, au discours verbeux, aussi lourd et peu spirituel que Narcisse et Goldmund - son vrai chef-d'oeuvre - fut aérien et superbe. L'histoire est certes intéressante, et l'on voit bien le cheminement du héros principal, prétexte à faire un roman d'initiation ou d'apprentissage à la mode goethéenne ; mais la référence, par excellence dans le genre, le Wilhelm Meister, n'est justement pas détrônée. On a là des pages qui se succèdent et qui ne présentent pas - ou plus - un grand intérêt, comme si ce livre qui aurait pu être le couronnement de toute la production de Hesse avait manqué son objectif, celui d'être un beau témoignage de l'utilité d'une vie spirituelle par opposition au monde matérialiste construit au XXe siècle et tout autant en ce premier quart de XXIe siècle. Hesse est passé à côté de ce qui aurait pu faire date dans son travail littéraire.

Ce livre est plein de longueurs et parfois il assomme et finit par ennuyer. C'est du moins mon ressenti. Je reste le l'admirateur inconditionnel d'autres romans.


Extraits


Je voudrais vous faire voir la voie que j'ai suivie en tant qu'individu, qui m'a amené maintenant hors de Celle-Les-Bois, et me conduira demain hors de Castalie. Ecoutez moi encore un instant, ayez cette bonté !

"pendant mon stage chez le père Jacobus, j'avais découvert que je n'étais pas seulement un castalien, mais aussi un homme, et que le monde, le monde entier, me concernait et avait le droit de me voir partager sa vie. (...) Dans l'optique des castaliens, la vie du siècle était un élément arriéré et de valeur secondaire, une existence de désordre et d'instincts primitifs, fait de passions et de dispersion, sans beauté, sans rien qui méritât le désir. Mais le siècle et sa vie étaient en vérité infiniment plus grands et plus riches qu'un Castalien ne pouvait se les représenter, le monde était plein de devenir, d'histoire, d'essais et d'éternels recommencements ; il était chaotique, mais il était la patrie et le sol nourricier de tous les destins (...).




Il s'assit et joua délicatement, très bas, une phrase de cette sonate de Purcell qui était l'un des morceaux favoris du père Jacobus. Comme des gouttes de lumière dorée, les sons filtraient dans le silence, si bas qu'on entendait encore dans les intervalles chanter la vieille fontaine qui coulait dans la cour. Tendres et sévères, austères et douce, les voix de cette musique gracieuse se rencontraient et se croisaient ; elles dansaient, vaillantes et sereines, leur ronde intime à travers le néant du temps et de la précarité ; éphémères, elles donnaient à l'espace et à cette heure nocturne l'ampleur et la grandeur de l'univers et, quand Joseph prit congé de son hôte, le visage de celui-ci avait changé : il s'était éclairé, et en même temps il y avait des larmes dans ses yeux.




La vérité existe, mon cher, mais la 'doctrine' que tu réclames, l'enseignement absolu qui confère la sagesse parfaite et unique, cela n'existe pas. Il ne faut pas non plus avoir le moins du monde la nostalgie d'un enseignement parfait, mon ami; c'est à te parfaire toi-même que tu dois tendre. La divinité est en toi, elle n'est pas dans les idées ni dans les livres. La vérité se vit, elle ne s'enseigne pas ex cathedra..



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