Gilles : Découverte du poète anglais Thomas Hardy plus connu par ses romans. Les poèmes sont très beaux même si l'auteur paraît austère et pessimiste. La languie est très belle. Il garde en permanence une distance et évoque la nature qui sublime ses poèmes. On ressent l'ambiance de la campagne anglaise du Wessex à l'époque victorienne. A lire pour la beauté des poèmes et la trace laissée d'une époque passée.
Critique :
Romancier célèbre (À la lumière des étoiles, Tess d'Uberville, Jude l'Obscur...), Thomas Hardy n'a cessé de développer un véritable continent poétique, tenant le rôle du veilleur sans espérance à la frontière de deux siècles, puisque né en 1840 dans le Dorset, près de Dorchester, où il séjournera jusqu'à sa mort en 1928. Une même violence, un même éclat dans l'invective contre le pharisianisme et la société victorienne s'entendent dans ses poèmes, avec cette perception douloureuse qui hante par ailleurs les personnages de ses romans.
Avec Thomas Hardy, la permanence de la nature, la présence de l'histoire, souvent mythique, forcent les portes de l'intemporel dans des ballades et des chants qui comptent parmi les plus beaux du post-romantisme.
Difficile d’imaginer que Thomas Hardy, cet immense écrivain, fut un homme petit, timide, souvent triste, dont l’accent rocailleux soulignait les origines paysannes, menant une vie austère, marié deux fois, mais sans enfant. Je ne suis pas sûr que la rencontre avec Thomas Hardy eût été des plus séduisantes. En tout cas pas pour vider quelques bocs de bière ou évoquer les joies de la bonne chaire ou de la paternité. Mais quel grand écrivain ! Un des tout premiers de la littérature anglaise à mon sens. J’ai parlé plusieurs fois ici de ses romans, que j’apprécie tout autant pour la beauté de leurs personnages que pour l’évocation sensible de belles descriptions poétiques. Car Thomas Hardy, c’est d’abord une langue, un style.
J’avais depuis longtemps envie de remonter à la source de cette inspiration poétique. C’est maintenant chose faite. Sous le titre de Poèmes du Wessex et autres poèmes, le volume de Poésie/Gallimard est en réalité un choix de textes issus de trois des principaux recueils poétiques de l’auteur: Poèmes du Wessex (1898), Poèmes d’hier et d’aujourd’hui (1901) et La Risée du temps (1909).
Fortement marqué par le pessimisme de l’auteur, plus prégnant ici encore que dans les romans, le grand sujet est à l’évocation paradoxale des amours, souvent défuntes qui font de Hardy sans doute l’un des maîtres de la poésie élégiaque. De cette moisson de textes, je retiens quelques poèmes qui m’ont touché un peu plus que les autres: A Lizbie Browne est une chansonnette triste sur les regrets d’un amoureux qui ne sut jamais se déclarer; San Sebastian une évocation terrifiante du viol en temps de guerre et de l’impossible retour aux joies sereines de l’existence; Une épouse à Londres, l’annonce de la mort d’un mari à la guerre sur fond de paysage londonien; Minuit d’août, l’évocation d’un soir d’été et de ses insectes, poème presque japonais, dans la manière d’un Sôseki par exemple; Automne au parc royal d’Hintock, une variation sur le thème de la fuite du temps.
Dis comme cela, je ne sais pas si cela fait très envie. Mais il ne faut pas négliger la forme poétique – c’est le génie des poètes élégiaques – qui sait redonner vie et humanité, c’est-à-dire une forme de beauté tout simplement, à ce que le temps et les malheurs n’auront pas épargné. Un bien beau recueil donc, qui fait entrer dans l’œuvre plus intime, moins connue du grand romancier anglais.
Extraits
LA BIEN-AIMEE
A la lueur des astres et de la lune
J'allais vers la maison de mon amour
A Kingsbere, pour nos épousailles
Au prochain lever du soleil
Je longeais l'antique colline et les bois
qui bordent le chemin d'Ikling,
Où se dressait un temple païen
Au commencement du monde.
QUI CREUSE MA TOMBE
"Ah, mon bien-aimé, ces fleurs
Est-ce toi qui les as plantées ?"
-’’Non, ton mari s’est marié hier
Avec une riche héritière
Croyant qu’il ne te briserait point le cœur
En étant infidèle.’’
"Alors, qui est-ce qui creuse ma tombe,
Est-ce des proches, venus me voir ?"
-Ah, non, ils songent :
"A quoi bon poser des fleurs
Alors qu’il est impossible de déjouer la mort
L’âme ne fuit point le piège du trépas’’
"Mais il y a bien quelqu’un qui creuse ma tombe
Serait-ce mon ennemi, le malin ?’’
-"Non, lorsqu’il apprit que tu avais franchi le seuil de la mort
Cette Terre de laquelle aucun homme ne revient
Il enterra sa haine et se moque bien
D’où tu reposes en paix.’’
"Alors, qui est-ce qui creuse ma tombe ?
Dis le moi donc, puisque je n’ai pas pu deviner !’’
-Ah, c’est moi, chère maîtresse
Ton p’tit chiot, qui vit tout près
J’espère ne pas avoir troublé votre sommeil !’’
’Oh ! Oui, c’est bien toi qui creuses ma tombe
Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?
Toi, mon âme sœur véritable !
Hélas ! C’est bien vrai
Qu’aucun amour sur terre
Ne surpasse la fidélité d’un chien !’’
"Maîtresse, j’ai creusé votre tombe
Pour y ensevelir un os
Au cas où j’aurais faim un jour
En faisant ma tournée ici
Je suis bien désolé d’avoir oublié
Que votre tombe se trouvait ici.".
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