Gilles : Témoignage sensible du tremblement de terre de 2010 en Haïti. L'auteur au fil de son récit mêle des propos sur lui et sa famille, sur la société haïtienne, sur l'identité d'un pays (ce qu'il reste quand il n'y a plus rien). Il s'intéresse à tous, ceux qui sont partis, ceux qui ont survécu et qui, collectivement font progressivement redonner vie à leur terre.
Critique : Le 12 janvier 2010, à 16h53 exactement Dany Laferrière se trouve à Port-au-Prince, pour participer au festival "Les Etonnants Voyageurs" cher au formidable Michel le Bris qui doit débuter le lendemain. 6h53 exactement, Port-au-Prince est victime d'un effroyable séisme qui va semer morts et chaos dans le pays. Un an après cette catastrophe, Laferrière se fait le témoin de ce drame vécu. Une minute, une interminable minute qui va transformer en ruines la capitale haïtienne. Un récit forcément bouleversant mais au delà de l'effroyable drame, c'est l'incroyable courage d'un peuple déjà marqué par une grande misère qui se relève une nouvelle fois. Comment, alors que le malheur jonche les rues, les survivants font rejaillir la vie, l'espoir avec un volonté et une croyance extraordinaire. Sans pathos, Laferrière dans une prose métaphorique magnifique, nous livre son témoignage avec une décence, un respect et un amour pour ce pays qui nous transit d'amour et d'admiration. Oui la culture fait aussi rejaillir l'espoir et la lumière.
Extraits
Je me promène un moment dans le jardin, tout étonné de constater que les fleurs les plus fragiles se balancent encore au bout de leur tige. Le séisme s'est donc attaqué au dur, au solide, à tout ce qui pouvait lui résister. Le béton est tombé. La fleur a survécu.
Deux groupes de gens se sont toujours côtoyés dans cette ville : ceux qui vont à pied et ceux qui possèdent une voiture. Deux mondes parallèles qui ne se croisent que lors d'un accident. C'est impossible de connaître son voisin quand on ne traverse le quartier qu'en voiture, se lamente une mère qui vient de perdre son fils. Elle ajoute que ce sont les pauvres du voisinage (elle traversait le quartier deux fois par jour sans jamais les voir) qui ont été les premiers à l'entourer quand elle a su que son fils était sous les décombres de sa maison. Pour une fois, dans cette ville hérissée de barrières sociales, on circule tous à la même vitesse.
Mais pendant 10 secondes, ces terribles 10 secondes, j'ai perdu ce que j'avais si péniblement accumulé tout au long de ma vie. Le vernis de civilisation qu'on m'a inculqué est parti en poussière - comme cette ville où j'étais. Tout cela a duré 10 secondes. Est-ce le poids réel de la civilisation ? Pendant ces 10 secondes, j'étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même. Ce qui est sûr c'est que je n'étais plus le produit d'une culture.