Gilles : Roman épistolaire entre une femme, son ancien mari intellectuel reconnu parti vivre aux Etats unis après leur divorce, leur fils qui cherche sa voie et son nouveau compagnon fervent religieux. Le début du roman avec les correspondances entre les différents protagonistes est très agréable à lire et met en place les points de vue de chacun et les difficultés à cohabiter qui caractérisent bien le monde juif, palestinien et arabe. La seconde moitié du livre a tendance à s’essouffler et à tourner un peu en rond. Il reste malgré tout intéressant de par la multiplicité des visions des uns et des autres, le poids du passé, le sens à donner au présent.
Critique :
Cette correspondance raconte un trio amoureux peu banal entre deux hommes que tout sépare sauf une femme prénommée Ilana. C’est elle qui, à la suite du mauvais comportement de son garçon, commence à écrire au père de son fils, Alec Gideon, de qui elle est sans nouvelles et divorcée depuis sept ans. Celui-ci est écrivain, il écrit sur le fanatisme, il habite aux USA. Elle lui demande de l’argent, elle parle de leurs amours passées, de ce qui y a mis fin, elle parle de Michel Sommo, son nouveau mari, un professeur de collège, ultra nationaliste et très religieux, au physique ingrat mais qui l’aime tendrement.
Ce qui particularise les romans d’Amos Oz, c’est sa façon de donner la parole à chacun, de telle sorte que chaque personnage défende ses opinions, et ne soit jamais mauvais. Oz nous fait comprendre qu’on est déclaré mauvais par un jugement extérieur. Il est dès lors facile pour un auteur de présenter un personnage comme tel, antipathique s’il ne lui est pas donné la faculté de défendre son point de vue. Dans ce roman, il y a un avocat, Manfred Zakheim, qui défend tour à tour les intérêts des deux personnages masculins principaux, a priori opposés sur bien des points. Manfred Zakheim fait les sales besognes mais toujours dans l’intérêt de son client ; en cela, il est bien une projection du romancier tel que l’entend Oz, un homme qui ne prend pas parti, qui ne fanatise pas ses personnages.
Le personnage du fils d’Alec, qui servira de tampon entre les trois adultes, est, lui aussi, attachant. Au début, il se fait remarquer par son comportement agressif (par ce qu’on dit de lui) mais peu à peu on constate qu’il a un «bon fond», qu’il n’épouse pas les idées de son beau-père, contre les Arabes de Palestine notamment, et qu’il épouse en la matière les idées progressistes de l’auteur. Ainsi le roman se termine par trois lettres qui sont autant de monologues, celui de Michel Sommo réclamant et sa femme et sa fille, celui d’Alex parlant de sa maladie et de son retour sur le lieu de son enfance, celui d’Ilana contant les dernières heures d’Alex. Le dernier mot reviendra toutefois à Michel Sommo qui cite un passage de la Bible, qui clôt ce récit sur une note ouverte à tous les possibles sur les capacités de pardon de l’homme.
Extraits
Bonjour Alec ! Si tu n'as pas détruit cette lettre à l'instant même où tu as reconnu l'écriture sur l'enveloppe, c'est que ta curiosité est plus forte que ta haine ou que ta haine a besoin d'être alimentée
Pour ce qui est de "l'humilité", la racine en est humilis - humus, soit la terre. La terre est-elle vraiment humble? Chacun croit pouvoir en faire ce que bon lui semble, la fouiller, la retourner, l'ensemencer, mais au bout du compte, c'est toujours elle qui engloutit ceux qui pensaient la posséder. Dans le silence éternel, elle demeure.
L’huître embrasse un corps étranger, se blesse et le transforme en perle dans l'eau tiède qui les baigne tous deux. Tu n'as jamais goûté ne serait-ce qu'une fois dans ta vie, la saveur de cette fusion, quand le corps est un instrument de musique dans les doigts de l'âme, quand l'autre et le moi s'enlacent pour ne devenir qu'un. Le don de la stalactite à la stalagmite s'unissant en une colonne de marbre unique.