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Watt (Beckett, Samuel)

Gilles : Premier roman de Beckett que je lis, ne connaissant que les pièces de théâtre de cet auteur. Curieux de voir ce que cela peut donner dans la forme du roman. En fait cela ne change rien, Beckett est Beckett et son art se trouve bien au-dessus de la forme de ses écrits. Il est assez incroyable de lire durant des pages et des pages du non sens, de l'absurde, des énumérations, des combinaisons sans fin de possibilités tout en se sentant interpellé par ce qui se passe. Toutes ces bizarreries relationnelles et ce sentiment profond de solitude reste notre destinée. L’écriture est parfaitement maîtrisée et enchaîne les péripéties avec une précision d' horloger décrivant une tranche de vie de "Watt", personnage dont le nom résonne avec le contenu ce texte.


Critique : Watt il n'est pas riche, il n'est pas beau, il n'est pas jeune, il n'est pas méchant, il n'est pas causant, il est hésitant, il sourit bizarrement et il se fait embaucher comme domestique chez monsieur Knott. La maison de monsieur Knott possède deux étages et il emploie un domestique pour le rez-de-chaussée et un autre pour le premier étage. La promotion de Watt du rez-de-chaussée à l'étage est au centre du roman. Lire « Watt », c'est une expérience. Parce que ça parait long et qu'on tourne en rond. On tourne en rond comme d'habitude avec Beckett, mais c'est plus long qu'une pièce de théâtre. Il arrive qu'on rit, comme souvent avec Beckett, d'un rire qui n'est peut-être pas toujours innocent. Un rire de désappointement. A lire les logorrhées du narrateur sur tout et surtout rien – son incontestable volonté d'épuiser toutes les possibilités -, il arrive aussi souvent qu'on fasse la grande expérience du lecteur, celle de l'ennui de l'ennui : suivre des yeux les lignes tout en pensant à autre chose (ses aigreurs d'estomac ou le collègue imbuvable qui les accompagne), quand les mots se perdent quelque part entre l'oeil et l'aire de Wernicke. Pendant cet ersatz de lecture, tout en captant des bribes de phrases au hasard, je me suis interrogé sur la lecture et cet ennui au carré qu'est l'ennui de lire. Et je ne sais par quel tortueux chemin de l'esprit, j'ai fini par subir cet étrange phénomène qui sauve toute lecture : le phénomène d'identification. Aussi incroyable que cela puisse paraître j'ai ressenti de la compassion pour Watt, ce personnage questionnant qui s'étonne de rien. Face à rien il n'y a pas de « quoi ? » qui tienne alors j'ai arrêté de chercher un sens à tout ça. de là à dire que l'ennui et la recherche de signification ont un rapport de cause à effet, c'est un processus de la pensée auquel je n'ose même plus m'exercer après la lecture de ce roman du non-sens.



Extraits


Je m'appelle Spiro, dit le monsieur.

Voilà enfin un homme raisonnable. Il commençait par l'essentiel et de là, poussant plus en avant, traiterait des choses de moindre importance, l'une après l'autre, avec ordre et méthode.

Watt sourit.



La seule manière de parler de rien est d'en parler comme si c'était quelque chose, tout comme la seule manière de parler de Dieu est d'en parler comme s'Il était un homme.

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