top of page

L'Armée des Ombres (Kessel, Joseph)


Gilles : Amateur de Joseph Kessel et de ses récits de l'histoire avec une plume de journaliste, j'étais intrigué de découvrir sa façon de restituer la Résistance. Les récits sont assez courts et se succèdent décrivant des scènes de résistance. La description pragmatique du fonctionnement des résistants du haut en lien avec Londres et ceux du terrain est impressionnante. Les valeurs, les doutes, la torture, la trahison sont restitués magistralement dans ces récits et nous font admirer ces soldats anonymes qui ont contribué à sauver la France. Dans la foulée, j'ai visionné le film de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura. Il est également à la hauteur de l'œuvre de Kessel. En attente de lire les écrits de Kessel sur Pétain et la collaboration.


Critique : Ecrit en 1943. Pleine guerre. Ecrit par un Résistant. A chaud, au cœur de l'action. Joseph Kessel, alors membre du réseau Carte, témoigne. Pas de son courage, pas de son héroïsme, pas de son engagement. Pourtant aussi méritoires que ceux de ses compatriotes. Il s'efface devant le courage, l'héroïsme et l'engagement de ces anonymes unis pour la plus grande des causes à défendre : la liberté. Son ambition : raconter aussi fidèlement que possible la France souterraine, la France combative, celle qui lutte pour son honneur. Mettre dans la lumière la France de l'ombre. Son angoisse : manquer justement de fidélité, et ne pas honorer à leur juste valeur ces héros. Car si tout est authentique, Kessel doit modifier, déformer les profils pour protéger leur vie et éviter toute représailles. Ses héros : simples, discrets, ordinaires. Garagiste, ingénieur, mère de famille, instituteur, plus de barrière sociale. Juste une même colère, une même résolution, une même hargne. Son écriture : sobre, humble, sur la réserve mais ferme. La main qui trace les mots ne tremble pas, ne doute pas, ne laisse pas place à la rêverie. Une main déterminée. A l'image de ces résistants : Gerbier, Jean-François, Mathilde, le Bison et tous les autres. Kessel n'esquive pas les sentiments pour autant, laissant surgir le temps d'un paragraphe exaltation, doute, colère, dépit mais jamais longtemps. Pas le temps de tergiverser, pas le temps de s'attendrir, pas le moment de s'apitoyer sur les jours heureux. L'action domine dans les cœurs. On pèse alors chaque mot, on surveille chaque geste. Tout acte est réfléchi, plus de place à l'instinct. Des amitiés naissent mais la méfiance règne. La trahison n'est jamais loin, et la Gestapo rôde. Pourtant, jamais une plainte, jamais un regret, jamais une larme. Ni la peur de l'arrestation, ni l'angoisse de la torture, ni la mort ne peuvent les arrêter. Car ils le savent : " La Résistance a pris la forme de l'Hydre. Coupez-lui la tête, il en repousse dix, à chaque jet de sang. "Non, L'armée des ombres n'est pas un livre de plus sur la Résistance. L'armée des ombres est Le livre à lire sur le sujet. Car à n'en pas douter, la fiction, aussi réussie soit-elle, n'égalera jamais la puissance émotionnelle du témoignage de l'intérieur.


Extraits

Ces gens auraient pu se tenir tranquilles. Rien ne les forçait à l’action. La sagesse, le bon sens leur conseillait de manger et de dormir à l’ombre des baïonnettes allemandes et de voir fructifier leurs affaires, sourire leurs femmes, grandir leurs enfants. Les biens matériels et les liens de la tendresse étroite leur étaient ainsi assurés. Ils avaient même, pour apaiser et bercer leur conscience, la bénédiction du vieillard de Vichy. Vraiment, rien ne les forçait au combat, rien que leur âme libre.


Cette question des enfants est pesante. Ils sont des centaines et sans doute des milliers à n'avoir plus ni père ni mère. Fusillés, emprisonnés, déportés. Je connais des cas où les enfants ont accompagné jusqu'aux portes des prisons leurs parents arrêtés et ont été chassés du seuil par les gardes.


La France est une prison. On y sent la menace, la misère, l'angoisse, le malheur comme une voûte pesante et qui s'affaisse chaque jour davantage sur les têtes. La France est une prison, mais l'illégalité est une évasion extraordinaire. Les papiers ? On les fabrique. Les tickets d'alimentation ? On les vole, dans les mairies. Voitures, essence ? On les prend aux Allemands. Gêneurs ? On les supprime. Les lois, les règles n'existent plus. L'illégal est une ombre qui glisse à travers leur réseau. Plus rien n'est difficile, puisque l'on a commencé par le plus difficile : négliger ce qui est essentiel : l'instinct de conservation.


Dernières parutions
Tags
Catégories
bottom of page