Gilles : Livre passionnant à lire. Il explique très clairement ce qu'ont vécu 3 générations de harkis depuis les fameux "événements" d'Algérie. Le grand mérite de ce livre est de mettre en lumière une histoire qui a été "tue". L'évolution inéluctable des familles déracinées est décrite au fil de chacune des générations. Personne n'y peut rien. Des choix sont à faire dont il est impossible d'en maîtriser les conséquences. Par ailleurs, cela reste très quelconque d'un point de vue littéraire. Intéressant pour l'information donnée.
Critique : Alice Zeniter, déjà lauréate du prix littéraire du «Monde» et finalement toujours en lice pour l'Interallié, remporte aujourd'hui le Goncourt des lycéens, la récompense la plus prescriptrice, avec son odyssée d'une famille de harkis. Une histoire «qui n'a jamais été chantée».
Le livre commence comme un conte. Dans les années 1930, Ali et ses frères, petits paysans d'un village de Kabylie, se baignent dans l'oued lorsqu'ils trouvent un pressoir qui dérive dans les flots. Les trois garçons remontent l'objet sur la rive. Ce pressoir tombé du ciel va faire leur fortune, leur permettant de transformer leurs olives en huile. Devenu prospère, Ali se marie. De cette union, naissent plusieurs enfants dont Hamid. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Ali s'engage dans l'armée française. A son retour, il retrouve sa famille et ses champs prospères. Mais le temps du bonheur et de l'opulence est de courte durée. Les premiers troubles de ce qui va devenir la guerre d'Algérie agitent le village. Les partisans de l'Indépendance ne pardonnent pas à Ali et à ceux qui ont combattu dans l'armée française. Pour eux, ce sont des traîtres.
A partir de là, Alice Zeniter, très bien documentée, déroule la succession d'événements historiques, toujours racontés à travers le prisme de la famille d'Ali : la montée du FLN, la façon dont les Français ont instrumentalisé les harkis, les massacres, les attentats, les accords d'Evian, l'exil, le racisme et les humiliations.
Rois du village en Kabylie, Ali et les siens deviennent des moins que rien une fois arrivés en France, des invisibles parqués dans des camps de fortune. «On ne leur a pas ouvert les portes de la France, juste les clôtures d'un camp», écrit Zeniter. En scannant ainsi les années, la romancière montre comment l'histoire se transmet de génération en génération, dans des récits troués de non-dits. C'est cette histoire parcellaire dont hérite Naïma, la narratrice, fille de Hamid et petite-fille d'Ali. En retournant en Algérie, la jeune femme va tenter de recomposer son passé et avec lui, son identité. Certes, Alice Zeniter déploie son récit avec une maîtrise narrative incontestable, transformant l'Histoire – de la conquête de l'Algérie à nos jours – en saga familiale efficace. Pour autant, le roman pâtit d'une écriture sans grand relief ni recherche littéraire..
Extraits
Le camp Joffre – appelé aussi camp de Rivesaltes – où, après les longs jours d'un voyage sans sommeil, arrivent Ali, Yema et leurs trois enfants est un enclos plein de fantômes : ceux des républicains espagnols qui ont fui Franco pour se retrouver parqués ici, ceux des Juifs et des Tziganes que Vichy a raflés dans la zone libre, ceux de quelques prisonniers de guerre d'origine diverse que la dysenterie ou le typhus ont fauchés loin de la ligne de front. C'est, depuis sa création trente ans plus tôt, un lieu où l'on enferme ceux dont on ne sait que faire en attendant, officiellement, de trouver une solution, en espérant, officieusement, pouvoir les oublier jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'eux-mêmes. C'est un lieu pour les hommes qui n'ont pas d'Histoire car aucune des nations qui pourraient leur en offrir une ne veut les y intégrer.
Lorsque du courrier arrive, c'est Hamid qui le lit et le traduit à ses parents désormais. Il bute encore sur les mots trop longs mais la tâche est de plus en plus simple. Il est fier : "Oyez, oyez : le héraut va vous annoncer la parole." Mi-mai, il trouve dans l'enveloppe destinée à son père une invitation pour la fête de fin d'année de l'école. Tous les parents sont conviés et la lettre ajoute avec un enthousiasme pondéré qu'il y aura dans l'après-midi un spectacle et une vente de gâteaux. Hamid imagine Ali et Yema, perdus au milieu des parents d'Étienne, de Maxime, de Guy, de Philippe occupés à manger des parts de génoise dans de petites assiettes en carton en discutant de l'inévitable réélection de De Gaule... (La seule fois qu'il ira au théâtre, des années plus tard, il éclatera de rire à la vue des aristocrates en costume de lin blanc de "La Cerisaie" parce qu'il réalisera que la vision qu'en a Tchekov, ou le metteur en scène, ressemble étrangement au cauchemar que lui inspirait la bourgeoisie provinciale de son enfance.) Il n'a pas envie qu'ils viennent à la fête de l'école, ils ne sauront pas se tenir, ils vont parler fort ou ne pas parler du tout. Ils n'aimeront pas, ne comprendront pas. Ils ne voudront sûrement pas venir de toute manière − pense-t-il − ils seront intimidés. Mais pour être certain de leur absence, lorsque Ali lui demande ce que dit le courrier, il répond : − C'est l'école qui annonce qu'elle achète un nouveau tableau. Son cœur bat si vite et si fort dans sa poitrine que c'est comme si celle-ci était vide et que l'organe pouvait rebondir partout, en grands mouvements désordonnés. − C'est bien, c'est bien, dit Ali sans entendre le fracas du cœur de son fils. Il quitte la chambre du petit garçon et le laisse travailler sur son lit. Hamid le regarde sortir, désemparé, honteux. Ça a été trop facile de lui mentir. Deux phrases se télescopent dans sa tête, parties à toute vitesse : Il peut se faire avoir par n'importe qui. Il ne sait rien.