Gilles : J'ai ressenti la même impression que pour "l'aveuglement". Le dispositif mis en place, avec le correcteur qui se permet une liberté, est génial et nourrit des réflexions multiples chez le lecteur. Le début est donc très enthousiasmant. La suite devient ensuite assez prévisible et banale. Peut-être que le plaisir de lecture vient de la narration continue virevoltant entre les descriptions de l'histoire du Siège de Lisbonne et celle personnelle du correcteur mais cela ne m'a pas passionné. Le livre reste intéressant de par le dispositif proposé et ce qui en découle.
Critique : Un très beau roman de José Saramago, autour de la vie d'un correcteur dans une maison d'édition. Sa petite la vie tranquille bascule lorsque, dans un moment d'extase et de folie, il ajoute une négation à la phrase 'les croisés [n']ont [pas] aidé le roi à reconquérir Lisbonne" (en portugais, un seul mot est ajouté) dans l'épreuve qu'il corrige. Cette histoire entremêle très harmonieusement au moins trois fils : une histoire ré-écrite - puisque les croisés n'aident pas le roi - du siège de Lisbonne de 1147, une promenade dans le Lisbonne moderne sur les traces du Lisbonne ancien, et la rencontre entre ce traducteur et sa nouvelle responsable des corrections. Le tout est écrit dans un style typique de Saramago, que j'aime particulièrement:. Il joue avec les phrases longues, un usage particulier - et limité - de la ponctuation.
Extraits
Il est évident que j'en saurai plus en arrivant au bout de ma promenade, mais il est certain aussi que j'en saurai moins, du fait même que j'en saurai plus, en d'autres termes, je vais essayer de m'expliquer, la conscience d'en savoir plus suscite en moi la conscience d'en savoir peu, et d'ailleurs cela donne envie de se demander ce que c'est que savoir.
Toutefois et bien que je n'aie pas l'intention de signaler d'autres contradictions, à mon humble avis, monsieur, est littérature tout ce qui n'est pas la vie, L'histoire aussi, Surtout l'histoire, sans vouloir vous offenser, Et la peinture, et la musique, La musique résiste depuis qu'elle est née, elle va, elle vient, elle cherche à s'affranchir des mots, par jalousie, je suppose, mais elle retombe toujours dans l'obéissance, Et la peinture, La peinture, elle, n'est rien d'autre que de la littérature fabriquée avec des pinceaux,
[...] ou bien supposons qu'un homme demande à une femme, Tu m'aimes, et que celle-ci se taise, se bornant à le regarder, énigmatique et distante, refusant de dire le Non qui l'anéantira, ou le Oui qui les anéantirait tous les deux [...]
