Gilles : Très beau roman qui décrit l'univers brésilien et la vie des noirs et mulâtres à Bahia dans les années 30. Le roman est très bien écrit, très fluide et plaisant à lire dans la lignée des grands romans populaires sud américains. J'ai préféré la partie insouciante avec les récits et péripéties du personnage principal Antonio Balduino à la partie où il découvre les luttes de classes sociales et devient un militant actif.
Critique : Il passe à travers les aventures picaresques d'Antonio Balduino, incarnation de l'homme noir déraciné, un souffre de liberté, comme un hymne à la dignité humaine, une invite à reprendre possession de sa destinée et, en même temps, une prise de conscience du rôle à jouer dans la communauté des hommes. Les chapitres se déploient devant le lecteur, telles les parties d'un vaste poème en prose, sans réelle intrigue, plutôt comme les méandres d'un fleuve qui se dévoilerait progressivement, au regard d'un voyageur placé sur le ponton d'un caboteur. Illustration de l'âme multiculturelle et polymorphe du Brésil, ce roman est, par sa forme et son souffle épique une grande réussite.
Extraits
Pénible existence, celle qu’on menait sur le morne de Châtre-Nègre. Tous ces hommes travaillaient dur, les uns au port, chargeant et déchargeant les navires, ou coltinant les malles, d’autres dans des usines lointaines ou à de petits métiers sans grand profit : cordonnier, tailleur, barbier. les négresses vendaient des gâteaux de riz, du mungunsa, du sarapatel, de l’acarajé, dans les rues tortueuses de la ville, ou bien elles lavaient du linge, ou bien elles étaient cuisinières chez les riches des faubourgs chics. La plupart des enfants travaillaient eux aussi. Ils étaient cireurs, garçons de courses, crieurs de journaux. Certains allaient dans de belles maisons où ils étaient élevés par des familles riches. Le reste se répandait sur les pentes du morne en jeux, en courses et en batailles. Ceux-là, c’étaient les plus jeunes. Ils savaient de bonne heure quel serait leur destin : grandir, pour aller au port où ils courberaient le dos sous le poids des sacs de cacao, ou bien pour gagner leur vie dans les usines énormes. Et ils ne se révoltaient pas, parce que depuis longtemps c’était comme ça. Les enfants des belles rues plantées d’arbres seraient médecins, avocats, ingénieurs, commerçants, riches, et eux, ils seraient les esclaves de ces hommes. C’est pour cela qu’il existait un morne avec ses habitants. Voilà ce que le petit nègre Antonio Balduino apprit de bonne heure par l’exemple de ses aînés.
Les pieds nus des femmes pilonnaient la terre battue. Les corps ondulaient suivant le rite. La sueur ruisselait, tous étaient empoignés par la musique et par la danse.