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Poésie 1946-1967 (Jaccottet, Philippe)

Gilles : Poésies dépouillées d'images, basées sur le ressenti, mettant en évidence l'homme minuscule face à la vie, face à la mort. Tout l'effort de l'auteur a été d'écarter tout élément pouvant polluer ce qui constitue la condition humaine. Mise en évidence du dénominateur commun de chacun de nous.


Critique : Philippe Jaccottet aborde dans ce recueil des thèmes souvent douloureux: obsession de la mort, peur du vieillissement, tristesse devant la mort d'un proche... et toujours le sentiment pour le poète que les mots ne peuvent saisir au plus près les sensations, les chagrins. Mais dans cet aveu d'impuissance renouvelé, Jaccottet parvient pourtant à toucher juste. Il s'efface de ses poèmes pour parler de faits qui nous concernent ou nous concerneront tous.


« Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance, / plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne. » Poésie 1946-1967 regroupe plusieurs recueils parus en plaquette avant 1967, dont L’Effraie et L’Ignorant. Force est de constater que tout Jaccottet est déjà là avec son esthétique du dépouillement et son face à face angoissé avec la mort. Œuvre construite après la guerre, elle en porte les stigmates : « A l’heure où la lumière enfouit son visage / dans notre cou, on crie les nouvelles du soir, / on nous écorche. »

Pour Jaccottet, il s’agit moins de cerner un sens – comment le pourrait-on ? – que d’adopter une posture existentielle, celle du poète ignorant. « Tel est le monde. / Nous ne le voyons pas très longtemps : juste assez / pour en garder ce qui scintille et va s’éteindre, / pour appeler encore et encore, et trembler / de ne plus voir. Ainsi s’applique l’appauvri, / comme un homme à genoux qu’on verrait s’efforcer / contre le vent de rassembler son maigre feu… » À l’encontre d’une autre modernité, plus portée par le pouvoir créateur du langage, la poésie de Jaccottet s’abîme dans une recherche désespérée du sens : « je ne peindrai qu’un arbre qui retient dans son feuillage / le murmure doré d’une lumière de passage » En bon traducteur, le poète s’efface derrière ce langage dépouillé (« L’effacement soit ma façon de resplendir »), derrière un « je », qui est un « lui », mais aussi tous les humains.Ironiquement, le recueil se termine par une suite intitulée « Leçons », cette même suite légèrement modifiée qui ouvrait le recueil « A la lumière d’hiver ». En fait, il n’y a ni leçon ni maître ! « Vient un moment où l’aîné se couche / presque sans force. On voit / de jour en jour / son pas plus égaré. »Témoin d’un monde insaisissable, dans lequel l’humain est bien souvent trahi, la poésie de Jaccottet capte avec force et justesse l’angoisse contemporaine. « Il y a en nous un si profond silence / qu’une comète / en route vers la nuit des filles de nos filles, / nous l’entendrions. ».



Extraits


Leçons


Ce que je croyais lire en lui, quand j'osais lire,

était plus que l'étonnement : une stupeur

comme devant un siècle de ténèbres à franchir,

une tristesse ! à voir ces houles de souffrance.EndFragment

L’innommable enfonçait les barrières de sa vie.

Un gouffre qui assaille. Et pour défense

une tristesse béant comme un gouffre.


Lui qui avait toujours aimé son clos, ses murs,

lui qui gardait les clefs de la maison.


Que la fin nous illumine


L'effacement soit ma façon de resplendir,

La pauvreté surcharge de fruits notre table,

La mort, prochaine ou vague selon son désir,

Soit l'aliment de la lumière inépuisable.


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