top of page

La valse aux adieux (Kundera, Milan)

Gilles : Retrouvailles avec cet écrivain à l'occasion d'une étude de ce livre par Lili. Kundera est toujours plaisant à lire. Ici, l'histoire est une mécanique d'horlogerie qui fonctionne parfaitement. Chaque protagoniste en prend pour son grade d'une façon ou d'une autre. Le quotidien d'apparence burlesque côtoie l'horreur absolue. Kundera reste un maître pour montrer, de façon légère et ironique, les interactions entre la grande et la petite histoire.


Critique : Kundera, c'est l'étincelle d'une intelligence toujours aux aguets, qui vous berce comme avec une petite musique (il est d'ailleurs question de musique dans le livre), vous enrobe dans le discours un peu philosophe de ses personnages désabusés, traînant leur existence terne dans le décor d'une ville d'eaux d'un pays totalitaire, puis vous ramène à la réalité en démasquant les jeux et manipulations que chacun met en place. Car chaque personnage du livre, désespérément en quête de sa liberté, est englué dans l'idée que sa survie se joue contre les autres, et tous vont mener leurs petites manigances : que ce soit l'infirmière Ruzena, qui tente de se faire épouser par un homme dont elle a décidé qu'il serait le père de son enfant, sans en avoir véritablement la preuve, Klima ; ce dernier essayant par tous les enjôlements et séductions de se soustraire à ce statut paternel qu'il n'a pas envie d'endosser. Il y a encore le docteur Skreta, gynécologue qui rend fertiles les femmes venues en cure dans la station thermale à la fois miraculeusement et diaboliquement, car tous les enfants qui leur naissent sont très énigmatiquement ressemblants avec le docteur, qui en même temps cherche à se faire adopter par un riche américain, Bertlef, pour pouvoir quitter le pays ; ou encore le couple Jacob-Olga, le premier prisonnier d'une culpabilité vis-à-vis du père de la seconde, ce qui le pousse à avoir une relation protectrice avec elle, jusqu'au moment où celle qu'il croit être une ingénue va révéler un autre visage… Bref, une galerie de personnages à la fois pathétiques et émouvants, toujours ambivalents. Comédie de moeurs, satire amère, le roman de Kundera est presque une toile d'araignée. Tous essaient d'échapper à un destin qui les broie comme un rouleau compresseur, se débattant avec plus ou moins de réussite. Pas de temps mort, même si les personnages passent pas mal de temps à « philosopher » sur la dérive de leurs existences, le tout secoué de péripéties parfois surprenantes, pour se conclure par une espèce de non-dénouement, car tous ou presque voient leurs espoirs leur échapper, à l'exception peut-être d'un personnage, je ne dirai pas lequel, qui est peut-être le plus fou de tous et qui voit son désir, sans doute le plus incongru, s'accomplir, concluant le livre comme pour dire que la vie n'est qu'une farce grotesque où s'en tirent le mieux ceux qui sont à la fois les moins scrupuleux et les plus fous, et dont le caractère illuminé rejoint presque une forme de sagesse. Un petit chef d'œuvre d'ironie ! nous offre la célébration et l’autopsie d’une amitié, et celles d’une passion.

Extraits



Elle était allongée sur le dos, la tête enfoncée dans l'oreiller, le menton légèrement levé et les yeux fixés au plafond et, dans cette extrême tension de son corps ( elle le faisait toujours songer à la corde d'un instrument de musique, il lui disait qu'elle avait « l'âme d'une corde »), il vit soudain, en un seul instant, toute son essence. Oui, il lui arrivait parfois ( c'étaient des moments miraculeux) de saisir soudain, dans un seul de ses gestes ou dans ses mouvements , toute l'histoire de son corps et de son âme. C'étaient des instants de clairvoyance absolue mais aussi d'émotion absolue ; car cette femme l'avait aimé quand il n'était encore rien, elle avait été prête à tout sacrifier pour lui , elle comprenait en aveugle toutes ses pensées, de sorte qu'il pouvait lui parler d'Armstrong ou de Stravinski, de vétilles et de choses graves, elle était pour lui le plus proche de tous les êtres humains...puis il imagina que ce corps adorable, ce visage adorable, étaient morts, et il se dit qu'il ne pourrait pas lui survivre un seul jour. Il savait qu'il était capable de la protéger jusqu'à son dernier souffle, qu'il était capable de donner sa vie pour elle.

Dernières parutions
Tags
Catégories
bottom of page